poiuytreza

étrange maquereau, série butō sans droit ni titr ou la biographie sauvage d’emmanuel m.
un roman fou de captain frog, 2020, éditions à la criée, à la criée point org et aussi sur captainfrog point org

extrait numéro 1 : LE MODE D’EMPLOI

étrange maquereau série butō sans droit ni titre, l’intégrale

saison 1 ― maquereau s’en va-t-en guerre

saison 2 ― bolloré n’est pas jouer

saison 3 ― l’algorithme dans la peau

saison 4 ― une immense fake news

est-ce qu’on demande aux chauves de porter un bonnet de bain à la piscine ?

alors je vous demande de me croire !

(Étrange Maquereau)

ni fleurs, ni couronnes, ni plaques.

(la presse)

épisode 0 avertissement aux téléspectateurs et téléspectatrices

chapitre 0

en avril, étrange maquereau fête son élection au premier tour de scrutin. oui, 18,19 % de tous les maquereaux inscrits sur les listes électorales l’ont choisi pour affronter blondie ! c’est gagné. à la mi-juin, devenu marcheur suprême, il double la mise. Il s’allie au petit démodé et avec 18,88 % des maquereaux inscrits sur les mêmes listes, il rafle 350 congres sur 577. le reste de l’histoire est raconté ici en quatre saisons de dix épisodes. attention, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes, ayant existé ou à venir, ne sauraient être que le fruit de votre imagination. ne faites pas l’idiot·e ! just do it and be water.

saison 1 maquereau s’en va-t-en guerre

épisode 1 ― c’est qui qui (au cas où t’aurais rien suivi)

épisode 2 ― neu-neu à versailles (neu-neu change de braquet)

épisode 3 ― i love mackerel (moi aussi j’adore ça)

épisode 4 ― le plus gros projecteur du monde (pas de douche, pas de repas, pas de guichet unique, c’est très important)

épisode 5 ― bonite bleu et vieilles dentelles (de wikipédia aux gaz de combat)

épisode 6 ― la croisière s’amuse (recommandé par le programme national « zéro stress au travail »)

épisode 7 ― mickey parade (balade au grand air avec walt, dingo et donald)

épisode 8 ― à la mémoire du blédard inconnu (mieux vaut un blédard que deux tu l’auras)

épisode 9 ― le hareng de schrödinger (ou comment se mettre les chats à dos)

épisode 10 ― au paradis des enflés (de la bière dans le cathéter !)

saison 1 maquereau s’en va-t-en guerre

épisode 1 c’est qui qui

chapitre 1

la cuisine va toujours plus vite que la besogne. à peine élu, étrange maquereau appelle à la tête de son équipe d’as et de valets, un grand havrais rayonnant, le docteur. pantalon, un jeune sauteur ambitieux anciennement écoblanchi monte sur l’escabeau de l’assemblée des congres tandis qu’intérieur nuit prend les commandes du ministère des cagoulés. merlan frit, vieux notaire de province démâté, dirige la musique du bal. des figures médiatiques connues, ainsi le radieux, ou émergentes, la vive grossiste, complètent l’équipage. la poissonnerie recrute à jet continu croisiéristes, baltringues et marins d’eau douce.

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Extrait numéro 2

Saison 1 Maquereau s’en va-t-en guerre
Épisode 1 C’est qui qui

Chapitre 3

Grâce à Dieu, le Marcheur Suprême est à Gao. C’est un grand jour. première sortie hors des glorieuses frontières de la Poissonnerie. Le Chlordecon présidentiel a atterri sur la base militaire française un peu avant midi heure de paris. Étrange Maquereau apparaît en haut de la passerelle avec son habituel petit costume bleu nuit étriqué. Le Malien Suprême l’attend au pied de l’avion en boubou et calot blanc, sourire aux lèvres, grosse montre et lunettes à grosse monture, signes ostensibles de maturité et de sagesse politique. Le sourire du Malien Suprême est sur toutes les photos. Le sulfureux animal a fait des pieds et des mains pour être là à l’heure malgré les efforts d’Étrange Maquereau pour le prendre de vitesse. Gao est à une journée de bus de Bamako, avec les coupeurs de route dans le Macina et les terroristes maintenant. résultat, le Malien Suprême avait pris l’avion lui aussi. il avait réussi à s’imposer dans Bonaparte au Sahel. avec ses cadeaux dignes de la Foirfouille mandingue, un cheval blanc et six cents kilos de mangues de Sikasso, il avait perturbé l’opération solitaire inaugurale du Marcheur Suprême dans les terres du Sud. Lui aussi aurait droit aux grognards et à la Barkhane. Ce n’était qu’un juste retour des choses. Un peu de Françafrique, un peu de Francophonie, un peu de guerre contre le terrorisme, un peu de fraternité et de codéveloppement, il ne manquait que Tantie, la gazelle du Marcheur, pour que le tableau soit complet. Mais seuls quelques Valets du premier cercle avaient fait le voyage. alors certains indigènes se sont demandé à juste titre si Étrange Maquereau n’était pas mauvais perdant. Sur quelques photos, son visage crispé aux côtés du sourire de l’homologue lui donne des airs d’ancien sous-préfet de Vendée asthénique et constipé. La comparaison déçoit. honni soit qui Mali pense ! Étrange Maquereau part manger au self avec ses harengs. plateau-repas et menus sont comme à Villacoublay. Une base aérienne de yaourts, de crèmes brûlées, de mousses au chocolat, de carottes râpées, de pains de poisson, jambon blanc, cornichons, baguettes, pommes cirées, salades de fruits, eaux minérales, tout importé, déchets et suremballages compris. Étrange Maquereau rate la plonge, moment fraternel entre les hommes, la vaisselle est en plastique. En plein Sahel. Vive la poissonnerie Suprême !

Chef Barkhane, le commandant en chef de tous les harengs de la Poissonnerie s’amène. Balade en hélicoptère, la boucle du Niger, la Dune rose. Les journalistes choisis pour raconter Bonaparte au Sahel sont dans le deuxième appareil qui filme le premier. Les Maliens, petits et grands, ont disparu des radars. Chef Barkhane parle au Marcheur. Lui, c’est le Grand Chef de tout ce qui chauffe grave. Médaille hauturière de Mourmelon, il réclame tout le temps. C’est le prix de la paix, putain ! Kosovo, Centrafrique, Libye, Afghanistan, Syrie, Irak, que des succès : Sentinelle, Licorne, Sangaris et il en oublie. Un véritable géographe colonial. Quand Étrange Maquereau est remonté dans son Chlordecon, qu’il a quitté la base française de Gao et s’est éloigné dans le ciel du nord-Mali, les carpes maliennes qu’on avait désarmées ont enfin pu récupérer leurs matériels. On est sans nouvelles du cheval. il aurait quand même pu servir, ont remâché quelques Maliens, au
moins à l’ambassade de France ou même au Centre Culturel. En partant, Étrange Maquereau s’est adressé aux harengs de Barkhane, je vous offre les six cents kilos de mangues du Malien Suprême, le farfelu, je ne peux pas les ramener à Paris.

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Extrait numéro 3

Saison 1 Maquereau s’en va-t-en guerre
Épisode 3 ―
I LOVE MACKEREL

Chapitre 6

La guerre du maquereau a commencé. Il faut témoigner. Car partout où il y a des maquereaux, la guerre pour s’en emparer a commencé. En Mer jaune, les chalutiers chinois s’éloignent de leurs côtes ruinées par le développement et pénètrent la zone économique exclusive sud-coréenne. La partie de pêche se fond en polar halieutique. Le maquereau agonisant sur le pont découvre le goût du sang humain et l’odeur névrotique des fusils automatiques. Les diplomates protestent. Leurs messages inaudibles se perdent dans les brumes du Nord-Est asiatique. Dans l’Atlantique Nord, la guerre est plus feutrée. On l’appelle Total Admissible de Captures. Pendant la surpêche, juristes et fonctionnaires font des batailles navales tandis que les croyants de l’Église du Rendement Maximum Durable prient autant qu’il est possible pour la longue vie du maquereau. Celui-ci sait parfaitement que si Karl Marx et Charles Darwin avaient été un peu moins stupides, ils auraient travaillé main dans la main. Le ministère de la transition écologique n’aurait même pas vu le jour. Les choses auraient été vues au fur et à mesure et je ne serais pas occupé à écrire ce fumeux et indescriptible Étrange Maquereau. Mais c’est comme ça. On continuera à les cuisiner tant qu’y en aura. Lorsque le nombre des recettes de maquereau sera devenu supérieur à celui des derniers maquereaux encore en vie, nous sonnerons l’alarme et nous taperons sur des gros tambours pour récolter des fonds de manière participative. J’essaye de me calmer. Je cuisine. J’en prépare quelques-uns au gros sel pour des amis coréens de passage. C’est une recette traditionnelle qu’on sert avec du riz et du makgeolli. Malgré ses circonvolutions, ses plongées et ses pirouettes, et parce qu’il circule beaucoup et vit assez haut dans la colonne d’eau, le maquereau commun est réputé ne pas être le plus exposé aux pollutions radioactives localisées. Mais il fait partie des espèces fortement contaminées au mercure et autres polluants. Les agences sanitaires envahissent les livres de cuisine. Malgré son prix dérisoire, ses qualités nutritionnelles remarquables et ses saveurs inoubliables, le maquereau ne devra pas être consommé plus d’une fois par semaine. Femmes enceintes ou allaitantes, nourrissons, vous devrez redoubler de vigilance.

C’est dans cet état d’esprit torturé que j’entame des recherches. En raison de mes petits moyens, j’entreprends d’abord de pratiquer de modestes dissections d’estomacs. Au terme de l’expérience, je saurai si je peux continuer ou non à manger du maquereau en toute sécurité. L’acte de disséquer doit être tenu pour une opération magique et dangereuse. À frôler ainsi la mort, la pourriture et l’excrément, on se doit de se protéger. Agir seul·e ne constitue nullement une protection, bien au contraire. Alors je me mets en mouvement. Je me rapproche imperceptiblement de la cosmologie du maquereau commun. Je me glisse sans bruit dans un fluide incroyable au milieu de centaines d’autres maquereaux communs. Nous virevoltons à l’orée des Contre-Lumières et de la fin du monde. Oui, je l’avoue, j’ambitionne de fréquenter le banc et même l’arrière-banc. J’aime la masse d’eau. Je me perds. Bientôt, je ne serai plus qu’un maquereau commun parmi tous les maquereaux communs. Je connaîtrai les habitudes, les ficelles, les racontars et les bons coups. Je serai de celleux qui restent quand ça se disperse. À un moment ou un autre, aussi, je changerai mon fusil d’épaule. Je me procurerai un bateau, un chalutier, au Canada peut-être, et un permis de pêche écrit en français de l’Acadie. Je lirai lentement et dans leur intégralité les documents administratifs de cogestion de la ressource. Je participerai activement à la collecte des données et des échantillons, aux opérations de vérification à quai ou dans les journaux de bord. Je me porterai volontaire pour siéger au Comité Consultatif du Maquereau. Je sentirai le poisson. Je serai l’un·e et l’autre en même temps.

Chapitre 7

God Bless Atomic Mackerel ! Le Marcheur est à Las Vegas, la plus grosse ampoule électrique du monde selon Ballard. Il était temps sinon c’était foutu. Étrange Maquereau n’a même pas pu se raser ni eu le temps de faire les papiers. L’esthétique est désastreuse. Les rouflaquettes vielle école qu’il arbore parfois sont totalement d’un autre siècle. Mais c’est aussi un hommage aux hipsters de la Start Up Nation Business et un clin d’œil tronqué au western spaghetti. Ni poussière, ni trompettes. Juste une folle cavalcade depuis la Silicon Valley jusqu’au Strip flamboyant de Vegas. Le panneau « Welcome To Fabulous Nevada, State of Unmissable Future » clignote en gros caractères colorés quand Étrange Maquereau et la Grossiste franchissent la frontière de l’État, tirant des coups de feu et des hourras magnifiques, de concert avec tous les geeks et les barbeaux qui sont à leur suite. Étrange Maquereau traverse ensuite les salles de jeu de l’hôtel Linq sans émotion. Cette bruyante drigaille multicolore lui rappelle trop Bercy. Idem pour le grand show branque de Franck Marino à base de sosies de stars trafiquées. Place au Consumer Electronics Show ! Le Marcheur met ses lunettes I LOVE MACKEREL puis il entre à grand pas dans les allées bondées du salon. La visite dure plus que de raison. La Start Up Nation Business compte tellement de garçons fantastiques. Les selfies explosent à chaque animation : des lunettes d’hyper-réalité massive pour changer de catégorie socio-professionnelle, seul ou à plusieurs, un sous-marin miniature imitant le maquereau commun à la perfection et capable de s’adapter à la taille de ses voisins et même d’imiter leurs mouvements tout en récoltant des images jusqu’alors inconnues du Grand Fluide Pélagique, plus loin un sex-toy autogire en forme de thon juvénile cunibilingue piloté par les vibrations de la voix humaine dans l’eau du bain, etc. Le soir vient sans que la température des pièces de l’hôtel n’ait bougé d’un dixième de degré. La grande conférence occupe le premier étage. Le Marcheur monte timidement sur la petite scène en une infime quête préliminaire du Graal. Lève des fonds ! ordonne-t-il au hipster qui s’accroche à sa veste trop large pour un énième selfie. Je veux voir des levées de fonds spectaculaires ! Je veux qu’un miracle ait lieu ce soir ! Plus tard, en écoutant s’enflammer l’animateur de la soirée, Étrange Maquereau se met à triturer le coq rouge accroché au revers de sa veste trop grande. C’était sûr maintenant. Le coup était parti. Exactement.

Las Vegas, c’est le Versailles du vingt-et-unième siècle. Un modèle urbain unique, improbable, carboné, inégal, dépendant, poubellien, hystérique et festif. Un lieu dystopique et faustien : des machines à sous, des femmes peroxydées et des start-up. La Grossiste trottine aux côtés du Marcheur, bienveillante et efficace, deux colts à la ceinture. C’est beaucoup plus tard à cause du Poissonnier du Graal, alors que le Marcheur accède, foulée après foulée, à la fonction suprême que cette histoire revient dans le roman national. On projette Pour une poignée de dollars en version française. En l’absence des lunettes roses tombées à terre, cette scène fondatrice de la Marche Suprême fait boomerang dans le récit du héros jupitérien. Qui payait quoi en fait ? Macache ! Un Marcheur Suprême ne commente pas et un Marcheur Suprême ne commente pas à fortiori l’actualité judiciaire. La Grossiste travaille aujourd’hui dans un Ministère qui a pris son nom. Et toujours ses deux colts à la culotte. À Vegas, à l’époque, comme tout le monde, elle portait à son revers ce coq rouge miniature dont d’innombrables doublons géants constituaient le décor répétitif et inquiétant de l’événement. Elle souriait, étrangement sereine, seule femme au milieu des barbeaux et des grossistes de la levée de fonds. Quand l’animateur étasunien s’est enfin répandu en affirmant vouloir voter, lui qui ne le pouvait pas, pour Étrange Maquereau, lui qui n’était encore candidat à rien quoique secrètement décidé, elle a vu tous les grands barbeaux confédérés applaudir et elle a souri. C’était gagné. Ainsi sanctifié au paradis végasien, Étrange Maquereau entamait sa longue marche.

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Extrait BONUS

Saison 1 Maquereau s’en va-t-en guerre
Épisode 6 ―
LA CROISIERE S’AMUSE

Chapitre 13

Grazie a Dio, le Marcheur Suprême est à Saint-Nazaire. C’est un grand jour aux Chantiers de l’Atlantique. On a mis à la mer le luxueux paquebot MSC Meraviglia (la Merveille). Une croisière verticale et ultracarbonée plus proche de Federico Fellini déclinant que de Jupiter Capitolin. Après les discours liminaires des deux grossistes, Étrange Maquereau vêtu d’un costume plus ample qu’à l’accoutumée coupe le ruban et se met à lire l’Évangile Économique Exclusif. Devant cette cathédrale du consumérisme et de la démocratie sociale détachée, devant les barbeaux, devant deux congres mal élus et un boisseau de maquereaux communs en bleu de travail occupés à filmer la scène avec leurs téléphones portables, le Marcheur Suprême affirme qu’il peut marcher sur l’eau quand il le veut. Il est Celui-là. La réforme prochaine du Code de la navigation devra s’en inspirer et rappeler qu’en toutes choses il faut éviter les raideurs. C’est lui qui décide. Le MSC Meraviglia largue ensuite les amarres en direction du Havre, la ville du Docteur, pour un dernier examen avant le premier voyage commercial. Chose curieuse, dans ce paquebot presque vide à en être inquiétant, les agents de sécurité surprennent un·e individu de type Exocoetus volitans en train de jouer entièrement nu·e dans la piscine principale du navire. Malgré leurs efforts, ils ne peuvent l’appréhender. Seules des images vidéo témoignent de l’incident. À quelque chose malheur est bon, les recherches menées permettent toutefois de procéder à l’arrestation de deux individus de couleur de type calaisien occupés à préparer dans les cuisines du navire un monstrueux tiéboudiène. Pendant leur interrogatoire, les deux mérous, deux frères prétendument nommés Bolly et Wood, dépourvus de tout document d’identité et de tout moyen de paiement, affirment aux agents de sécurité cuisiner pour le Docteur ― la Première Toque qui dirige tous les restaurants de la Poissonnerie Suprême selon eux. En attente de vérification de cette curieuse allégation, les deux individus sont encellulés. Leurs t-shirts floqués, respectivement I LOVE MACKEREL et I’M NOT A SPRAT sont saisis pour recherches d’ADN. Promptement averti des deux incidents, le Stadier Suprême ordonne simultanément deux enquêtes, l’une concernant le suspect de type Exocoetus volitans actuellement en fuite, l’autre sur les deux mérous de type calaisien retenus par les services. La surveillance du Docteur est renforcée. Intérieur Nuit a une intuition. Les sens en éveil, tournant sur lui-même comme un animal inquiet d’un danger dont il ignore encore la nature, il redoute que quelque chose de louche ne soit en préparation du côté du Havre — au delà même de la curieuse personnalité du Docteur, c’est une ville qu’il connaît mal et dont l’équipe de football n’est même pas cotée en bourse.

Les Havrais·e·s s’en contrefichent mais le Marcheur Suprême sent le poisson. Les médias le taisent mais il sent vraiment le poisson. C’est avéré. Il est comme ça. C’est le Docteur qui a vendu la mèche. Il faudra s’y faire. On en a vu d’autres. Cela peut même faciliter certaines rencontres internationales. Mutti, par exemple, elle aime. Ça lui rappelle la Mer Baltique et les fast-food de poissons. Intérieur Nuit, lui, se lave discrètement les mains après chaque rendez-vous. Il a toujours un paquet de lingettes biocides dans sa poche même s’il vient de lire que leur usage pourrait bien être cancérigène. Oui, mais pas plus qu’une quenelle — c’est ce qu’il se dit à chaque fois qu’il lit un article inquiétant sur un produit du quotidien. Les Havrais·e·s ont finalement été plus intéressé·e·s par l’émouvante histoire de vie d’Étrange Maquereau. Ils ont été 32 625 sur 172 807 (soit 18,88 %) à consulter sa notice wikipédia entre le 23 avril et le 18 juin. La durée moyenne des consultations a été de soixante-six secondes, une durée faible mais tout à fait conforme aux prédictions des algorithmes de la Marche Suprême. Pendant l’été, Intérieur Nuit a fait réaliser un travail de vérification des données publiées et sa secrétaire s’est inscrite à wikipédia sous un faux nom pour accéder à la notice. Les changements seront réalisés chaque été entre le premier et le quinze août. Pour l’instant, le père d’Étrange Maquereau est annoncé mareyeur spécialisé dans les joues de lotte et les œufs de lompe. Sa mère tient une poissonnerie dans le centre-ville d’Amiens. Son frère et sa sœur auraient des positions enviables, l’un vendrait des radars pour les chalutiers de la flotte minotière tandis que l’autre accompagnerait le plan européen de réduction de la flotte artisanale. Ainsi le Marcheur Suprême serait bel et bien né dans une famille de mareyeurs. Ce serait le déclic. Quand il entre à la Providence, le lycée maritime d’Amiens, il réclame à onze ans d’être baptisé par immersion dans le grand aquarium de l’établissement et prend solennellement et pour sa vie entière le nom d’Étrange Maquereau. Il commence alors à montrer à certaines époques de l’année cette teinte bleu nuit qu’on lui connaît maintenant. Tout semble lui réussir : le dos crawlé, la nage synchronisée, la harpe nautique, la philosophie morale (appliquée au droit de la mer), la plongée sous-marine, le tennis de sable, le jokari natatoire, le tantrisme aux pains de glace, les prêts pour l’armement des navires, les traversées à la voile vers les îles lointaines, etc. Il reçoit à sa sortie des différentes écoles de la Poissonnerie parisienne un nombre de propositions d’emploi supérieur à la totalité des offres d’emplois reçues par des Havrais·e·s sur la même période. Le Docteur réussit en récupérer une, c’est comme cela qu’ils se rencontrent. Les différents bureaux de congres le sollicitent à tour de rôle et parfois en même temps. Les grossistes aussi. Étrange Maquereau visionne patiemment les œuvres complètes du Commandant Cousteau, relit Jules Verne et Lyautey. Il furète et visite telle et telle antre, cavité, haut-fond, barrière corallienne, trou d’eau, frayère, épave. Il évalue les buffets et élève son carnet d’adresses à l’égal d’un ami et d’un coach. Il travaille à Paris et habite au Touquet. Amiens est devenu cette ville un peu décevante qui n’a pas voulu de lui. Le Touquet en aurait bien voulu (les poissonniers et les marchands de glace coco étaient d’accord) mais c’était trop tard, trop facile ou trop petit. Étrange Maquereau est un pendulaire déceptif.

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Extrait numéro 4

Saison 2 ― Bolloré n’est pas jouer
Épisode 11 ―Métamorphoses

Chapitre 22

René·e me demande si je n’ai pas peur de me réveiller un matin transformé·e en maquereau. Le corps collant, tout raide sur le drap, la queue qui sort de la couette, la tête à plat sur l’oreiller, un œil tourné vers le plafond et la bouche ouverte en direction du mur. Ou alors secoué·e de petits bonds de carpe effrayée. Je lui réponds que c’est chouette comme idée mais que Kafka a déjà fait ça. Je pourrais le refaire mais ça va trop se voir. C’est mort. Il faut une autre idée. De toute façon, c’est le moment d’annoncer un tournant dans la folle cavalcade d’Étrange Maquereau. Un peu à cause de la démission inattendue de Chef Barkhane (la vieille bonite éjectée du command-car à la fin de Bonaparte au Sahel) mais surtout parce que c’était prévu dans mon scénario, construction littéraire raffinée dotée d’une extraordinaire trame narrative (autocitation de la page 57). Cette première partie du roman forme donc une longue scène d’exposition délirante où patiemment tout ce qui est nécessaire au récit est mis en place. Contexte, décors, personnages, registres, confessions, langues, statuts de l’écriture, tout est mis sur la table. Le caractère animalier et psychiatrique de ces soixante-neuf premières pages n’échappe à personne. C’est le jeu du je et de la souris (et le lecteur boucle la boucle). Le roman constitue de ce point de vue une tentative de dire le vrai au delà des apparences en permettant au faux de dire le vrai par l’apparence de la fiction. La suite que vous allez lire maintenant constitue un incroyable thriller pélagique et burlesque qui nous emmène au delà du gouvernement par les nombres, au delà de la zone économique exclusive des trois cents miles, aussi loin qu’il sera possible d’aller. Et c’est cela qui nous intéresse, dépasser les apparences pour vivre l’expérience de la chose même, la vie pleine.

Projet de thriller certes mais soyons tout de même un peu honnêtes, Étrange Maquereau ambitionne aussi d’être la biographie poétique d’un incroyable devenir animal, d’un devenir maquereau. La biographie animale est un genre en pleine expansion. Éric Baratay en est le spécialiste incontesté. Cet historien expérimenté connaît les animaux, le monde non dualiste, les cirques et la biodiversité. Il sait combien la modernité s’est emparée de l’animal après l’avoir exclu du champ de la subjectivité. Les animaux à la guerre, à l’usine, à la mine, dans les camions, les abattoirs, les laboratoires, les algorithmes, les incinérateurs. L’animal prolétaire, l’animal matière première, l’animal spéculation, l’animal spectaculaire et poubellien. Ses récits font froid dans le dos et émerveillent, l’un et l’autre, en même temps. C’est un jongleur, réincarnation académique de Saint François d’Assise unifiant le concept d’animal. Je lis son œuvre comme un roman, le roman d’une vie à la rencontre du point de vue animal ― du retour de l’humain en nature. Lira-t-il la mienne comme une pièce d’histoire immédiate que seules les vicissitudes du temps auront camouflée du manteau de la fiction. Je mets la barre trop haut sans doute mais qui ne tente rien n’a rien. Il faut le faire, il faut s’arracher. Écrire un livre, c’est de la fantaisie mais aussi du labeur. Il faut avoir quelque chose à dire. Pour écrire des biographies, il faut croire que les individus d’une espèce sont tous différents, par leur tempérament, par leurs capacités, leurs qualités. Or, nous sommes encore persuadés que tous les chiens, les chats, les chevaux sont identiques et qu’il faut raisonner aux niveaux supérieurs de l’espèce, des « animaux », de « l’animal ». Tout nouveau François d’Assise qu’il soit, l’historien du point de vue animal n’a à ma connaissance encore rien écrit sur les maquereaux. Je me sens totalement libre. Vive Étrange Maquereau !

Chapitre 23

Holy Mackerel ! Le Marcheur Suprême fait salon, Porte de Versailles. Il parle aux déçus de Lucky Dog et aux conducteurs de voitures sans pilote. Il fait bain de foule. Dans leur langue mais avec l’accent amiénois (on y parle l’anglais tel qu’il se parlait pendant la première guerre mondiale), il se démène. Il a la main sur le smartphone. Fait rare, @EtrangeMaquereau a abandonné la wassingue bleu nuit étriquée et c’est l’œil éclatant et les écailles brillantes qu’il annonce dix milliards d’euros et des visas pour les sans pap high tech, les émigrés de la Silicon. Il avance en terrain conquis, plus rapide qu’un Marcheur macrotant à Vegas, plus applaudi qu’un Lyautey gazant du Berbère, plus audacieux qu’un Bonaparte sautant sur le canal de Suez ou sur Kolwezi (c’était pourtant quelque chose) avec le deuxième régiment de maquereaux étrangers parachutistes, plus apaisé qu’un Général de Gaulle fin de partie pêchant le requin pèlerin dans un curragh de la baie de Galway. Bon sang, c’est l’heure des punchlines jupitériennes (la presse). @EtrangeMaquereau invite le monde entier à la maison. Tout sera fait pour accueillir les programmeurs de fisherie business dans la Start Up Nation Business. Il faut renforcer l’écosystème et décloisonner les relations entre les frayères des eaux froides et les grandes pêcheries mondiales. Je veux, je veux qu’ici. Je veux que le pays des maquereaux devienne le pays des licornes, des veaux de mer, des ours blancs, des baleines franches, des poulpes géants, le pays du Léviathan ! Et je vous mènerai à cette bataille ! Les grossistes sont là. Barbeaux de la publicité et de la presse (l’un et l’autre) et même du luxe et de l’Afrique-papa (tous ensemble). Ils organisent, scénarisent, accompagnent, écoutent, applaudissent. La pression monte. Il fait très chaud. La climatisation est cassée. La glace est en train de fondre et une odeur de marée pas fraîche accompagne le Marcheur à travers les stands. Les moules et les huîtres baillent et discutent de savoir si les mareyeurs sont bien le nouvel entrepreneuriat des Lumières numériques. Soudain, Étrange Maquereau déclare que C* (la Connerie collectivement disponible sur le réseau) doublera dans les dix prochaines années toutes les soixante-douze heures et que nous allons entièrement réécrire les équations de l’énergie créative, quelque chose comme EC* = MC*², et qu’on risquait même d’exploser la nation plate-forme ! À terme, l’énergie créative (EC*) remplace l’étrangeté (E) dans le référentiel suprême et devient égale au Maquereau multiplié par le carré de la Connerie collectivement disponible sur le net (C*). Le potentiel est énorme.

Au Touquet, les poissonniers et les vendeurs de glace coco ont un proverbe assez simple mais d’une grande utilité morale. Il est difficile de satisfaire tout le monde. Toujours imité, mais jamais égalé, ce proverbe court et efficace sert de lien puissant (#DifficileSatisfaireToutLeMonde) aux habitants du Touquet où qu’ils se trouvent dans le monde. Étrange Maquereau se l’est répété en boucle pendant la Marche. Il pouvait y arriver. Dire une chose, l’autre (les deux ensemble). Prestidigitation, illusionnisme. Devenu Marcheur Suprême, il s’en souvient encore. Au bureau, il prend la pose. Ne pas se compliquer, envoyer du jupitérien, cogner, séduire, évincer, égarer, jouer sur tous les tableaux par tous les temps, surprendre, manipuler, dire le contraire de ses valets, réclamer l’unité, etc. La Poissonnière officielle de la Poissonnerie En Marche est là. Il l’a convoquée pour alimenter les éditions dominicales de quelques grands quotidiens en ligne La Start-up Libérée, Halieutique Parade, Le Mareyeur Français. Mais c’est en réalité pour l’ensemble des criées de la nation plate-forme qu’on va lui tirer le portrait. On met le bureau sens dessus-dessous. La maquilleuse, l’éclairagiste, le décorateur. Au mur, en arrière-plan, cachant des papiers peints un peu chargés, la reproduction en grand format d’un détail d’une estampe japonaise bien connue depuis le tsunami de 2004 (La Grande vague de Kanawaga, extraite des Trente-six vues du mont Fuji de Katsushika Hokusaï, 1831). Au premier plan, deux tablettes numériques américaines (fabriquées en Chine) de la meilleure marque, le premier écran affiche la couverture colorée d’un essai de Stendhal (Vie de Napoléon, 1818) en édition de poche, le second donne à l’instant du cliché les cours de la Bourse des matières premières océaniques. Dans un coin, on aperçoit, un peu incongru·e·s, un petit coq en or du Mali et une horloge bourgeoise qui donne l’heure du Touquet et de Las Vegas (il n’y a qu’une heure de décalage). Étrange Maquereau est en petit costume bleu nuit étriqué (la fameuse wassingue amiénoise qui maintenant fait fureur). Il fait face à l’objectif, on distingue à peine ses deux yeux latéraux brillants, bien mieux ses belles lèvres pulpeuses. Poudré, le cheveu court, la pomme d’Adam saillante, un front puissant, le buste tendu dans ce cadre symétrique qu’il envahit de lui-même, les bourses en avant, l’animal est tout simplement ultra-queer. C’est un pot-pourri de Bonaparte au Pont d’Arcole (Antoine-Jean Gros, 1801) et de Bonaparte devant le Sphinx (Jean-Léon Gérôme, 1868). Il semble prêt à la prise du pouvoir. Mais les métadonnées de l’image confirment pourtant qu’il est déjà le Marcheur Suprême. C’est déjà fait. Merde ! Il agrippe les deux tablettes de ses grandes nageoires pectorales. Le portrait est tiré pour cinq ans.

Étrange Maquereau

Marcheur Suprême de la Poissonnerie du Léviathan

Un maquereau commun dans une criée quelque part sur la plate-forme grogne à cause du format final de la photographie suprême, plus grand que d’habitude. Il dit qu’il va devoir changer le cadre dans sa criée. Il fait des calculs, 36 000 criées, soit 36 000 cadres à changer, sans compter les services de la Poissonnerie et l’hôtellerie de luxe. Un autre maquereau commun lui répond que nul n’est obligé d’afficher le portrait du Marcheur Suprême. C’est une convenance, une servitude volontaire à la Ben Ali et non une obligation. Intérieur Nuit s’agite. Il essaye de croiser les données de ces individus avec celles de l’individu·e suspect·e de forme Exocoetus volitans. Pour l’instant, cela ne donne rien. Les recherches continuent.

RETROUVEZ ÉTRANGE MAQUEREAU TOUS LES LUNDIS A 23 HEURES SUR PI NOD DANS DÉBIT DADA
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